Il y a bien longtemps, à une époque où les chemins étaient de terre et les forêts peuplées de créatures oubliées, le village d’Ascain vivait au rythme tranquille de la Nivelle. Mais cette paisible rivière, si douce en été, devenait redoutable à la saison des pluies. Les villageois redoutaient les crues soudaines qui emportaient tout sur leur passage, rendant les traversées périlleuses, voire impossibles. Nombreux étaient ceux qui, en tentant de rejoindre les terres voisines, y avaient laissé la vie.
Un soir d’hiver, alors qu’un orage grondait au loin, un étranger vêtu de noir arriva au village. Nul ne savait d’où il venait, mais son regard perçant glaçait les cœurs. Il s’adressa aux anciens réunis près de l’auberge, et leur fit une étrange proposition :
— Je peux vous construire un pont de pierre, solide et éternel, qui résistera au temps et aux colères de la Nivelle. Mais en échange, je réclame l’âme du premier être vivant qui le franchira.
Les anciens se concertèrent longuement. Le besoin d’un pont était immense, vital même. Ils finirent par accepter, non sans appréhension. L’étranger sourit, un rictus froid aux lèvres, et disparut dans la nuit.
À l’aube, comme promis, un pont magnifique se dressait au-dessus de la rivière. Les pierres parfaitement taillées s’imbriquaient avec une précision presque surnaturelle. Les villageois, émerveillés, s’approchèrent… mais se souvinrent soudain du pacte. Qui allait traverser ce pont en premier ?
C’est alors qu’une vieille bergère, connue pour sa sagesse, eut une idée. Elle attrapa un coq, le plus fier et le plus bruyant du village, et le lança doucement sur le pont. L’animal, surpris, trottina de l’autre côté sous les regards suspendus des habitants.
Aussitôt, un cri monstrueux retentit, et un nuage de fumée noire jaillit du pied du pont. Le diable, trompé par l’astuce des villageois, hurla sa rage avant de disparaître dans un éclair.
Depuis ce jour, le pont est resté, solide comme au premier matin. Bien que bâti au Moyen Âge, les gens l’appellent encore aujourd’hui le « pont romain », par respect ou par crainte des puissances anciennes qui l’auraient peut-être aidé à surgir en une nuit.
Certains disent qu’à la tombée du jour, si vous vous tenez assez longtemps sur le pont et que le vent souffle dans le bon sens, vous pouvez encore entendre le coq chanter… ou le diable gronder.
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La Nivelle et le Pont Romain d'Ascain en 1912 |
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