La benoîte de Bascassan

La petite maison qui se trouve tout à côté de la chapelle est la benoîterie, Serorategia. Elle ne paie pas de mine.

 Dans un rapport publié en mai 2001, en vue de sa restauration, Bernard Voinchet, architecte des monuments historiques, la décrivait ainsi: "Cette minuscule habitation a des proportions de maison de poupée, les quatre pièces, superposées deux à deux, font 3.2 m sur 2.4 m et 3,2 m sur 2.9 m ; certaines portes ne font que 1,7 m de haut, la hotte de la cuisine est beaucoup trop basse pour y cuisiner, l'accès à l'étage se fait par une échelle de meunier, etc." On pourrait ajouter que le confort était plus que sommaire. Il y avait bien un robinet d’eau froide dans la cuisine mais pas de salle d'eau et encore moins de toilettes. Lorsque nous sommes arrivés en 1983, existait encore sur le côté gauche de cette maison un petit appentis qui masquait la porte latérale et où était entreposé un bric-à-brac d'objets hétéroclites : outils de jardin, morceaux de meubles, vieilles chaises défoncées, etc. Mais il a disparu lors de la restauration. En outre, dans le petit pré attenant on trouvait, contre le mur du cimetière, un clapier à lapins et un petit abri pour empiler les bûches. Il existait également une benoîterie à Alciette, à côté de la chapelle Sainte Croix. Marguerite Goihenetche et Marie Gorostiague y exercèrent les fonctions de benoîtes au XIXe siècle. En très mauvais état, elle a été détruite il y a une quarantaine d'années.  Une autre benoîterie se trouvait à Ahaxe, à côté de l'église Saint-Julien. Deux des benoîtes furent Jeanne Iralour au XIXe siècle et Maddi Necol, au XXe siècle. Elle existe toujours, a été restaurée et a longtemps servi de mairie. A Bascassan Marie-Louise Cadiou habitait Serorategia, ce fut la dernière benoîte du Pays Basque Nord.



Mais d'où venait l'institution des benoîtes ? On doit honnêtement reconnaître qu'il n'existe aucune certitude à ce sujet.  La première mention de benoîtes date du XVIe siècle outre-Pyrénées, du XVIIe siècle chez nous mais on n'a rien d'antérieur. Une des théories avancées et qui est au demeurant assez crédible est qu'elles auraient été les dernières survivances d'un clergé féminin qui aurait existé dans la religion ancienne des Basques. Par la suite l'Eglise catholique, avec semble-t-il beaucoup de réticences, aurait fini par les intégrer à une place subalterne par rapport au prêtre. La hiérarchie catholique semble d'ailleurs, pendant des siècles, avoir éprouvé un malaise à l'égard de cette présence féminine dans les lieux de culte. Outre-Pyrénées la première mention des benoîtes date de 1540, lorsque Bernardo de Rojas y Sandoval, évêque de Pampelune, s'en prend aux benoîtes qui s'occupent des ermitages et des grottes, lieux par excellence de manifestations des divinités païennes. Il veut les remplacer par des hommes qui, pour entrer en fonction, devront avoir reçu l'aval du vicaire général. Quelques décennies plus tard, de ce côté-ci des Pyrénées,  Pierre de Lancre, le chasseur de sorcières, les dénonce dans son livre "Tableau de l'inconstance des mauvais anges et démons", publié en 1612. Il les accuse d'être des femmes de mauvaise vie qui pervertissent les prêtres et servent de véhicule aux sombres desseins du Démon. En Labourd, où on les  assimile aux sorcières, plusieurs finiront sur le bûcher. L'institution des benoîtes semble avoir connu son apogée du milieu du XVIIe siècle au milieu du XIXe siècle. Ensuite elle décline pour pratiquement disparaître au XXe siècle. Beaucoup de villages ont complètement oublié l'existence des benoîtes et la plupart des benoîteries ont été détruites dans l'indifférence générale. Bascassan reste une exception. 

Marie-Louise Cadiou 
Elles représentaient une institution unique non seulement dans le Sud Ouest mais aussi dans le reste de la France. La benoîte était à l'origine une auxiliaire active du prêtre. Si elle accomplissait des tâches somme toute classiques ouvrir et fermer l'église, l'entretenir régulièrement, la préparer pour les services religieux et à l'occasion des fêtes, sonner la cloche, laver et prendre soin des vêtements sacerdotaux elle était bien plus qu'une bonne de curé ou qu'un simple bedeau féminin.  En effet, elle avait sa place réservée pour de nombreuses cérémonies mariages, baptêmes, enterrements et les services religieux ne pouvaient commencer que si elle était présente. En outre, lors d'un décès, elle jouait un rôle de premier plan dans la toilette mortuaire avec les femmes de la maison et les premières voisines.  Dans certains villages lorsque le premier voisin venait chercher la croix à l'église croix qu'il devait porter devant le cercueil pour ouvrir le cortège funéraire la benoîte la lui remettait puis sonnait le glas jusqu'à ce qu'il l’ait déposée au domicile du défunt. La durée de la sonnerie indiquait aux villageois à quelle distance de l'église se trouvait la maison du mort. Ils pouvaient ensuite en déduire son identité. La sonnerie du glas était à deux temps s'il s'agissait d'une défunte, à trois temps pour un défunt. Plus tard le premier voisin vint souvent chercher la croix en voiture ce qui mit fin à cette coutume.

Marie-Louise Cadiou 

Quelles étaient ses autres fonctions ? C'est elle qui avec son ezko allumait les ezko apportés par les femmes lors des enterrements ou des messes anniversaires ; elle remettait deux cierges à des femmes proches du mort soeur, nièce, belle-sœur qui ensuite les apportaient en offrande à l'autel ; elle faisait respecter les jarleku en interdisant à des personnes étrangères aux familles de s'y installer ; elle sonnait la cloche pour les cérémonies religieuses... mais aussi pour éloigner les orages, la grêle, et les maladies ; elle disait, à la demande, des prières pour le rétablissement des malades, assurer le succès de certaines entreprises comme des projets de mariage, des examens... ; elle avait autorité pour attribuer les nouveaux emplacements de tombes et de caveaux dans le cimetière ; elle enseignait le catéchisme et des rudiments de lecture et d'écriture aux petites filles ; elle prêtait assistance aux femmes qui venaient d'accoucher. Parfois son prestige pouvait être grand parmi les villageois qui n'hésitaient pas à venir lui demander conseil.

Marie-Louise Cadiou 

Marie-Louise Cadiou 
A l'origine au moins la benoîte était choisie par l'assemblée de la paroisse parmi les femmes célibataires de plus de trente ans, originaires de la paroisse, pieuses et ayant bonne réputation. Plus tard ces règles se relâchèrent et des femmes mariées purent accéder à cette fonction. Dans certains cas le seigneur local, s'il avait droit de nomination du prêtre, pouvait également intervenir dans le choix de la benoîte, ainsi que l'évêque. Mais il ne semble pas que les uns et les autres disposaient de voix prépondérantes dans ces affaires. La benoîte apportait parfois une dot à la communauté dont les intérêts servaient à la rétribuer. Mais la part la plus importante de sa rémunération lui était payée en nature par les paroissiens qui étaient tenus de lui fournir du blé, du maïs, du millet, du froment, parfois aussi du lait et de la volaille. De plus elle touchait un peu d'argent versé par les familles à l'occasion de chaque cérémonie. Ainsi dans un entretien réalisé il y a quelques années par une jeune femme qui préparait un travail sur les chapelles et les benoîtes, Maddy Nécol, la dernière benoîte d'Ahaxe, se souvenait "que les paroissiens lui portaient du bois, des dons en nature, et qu'ils ne tuaient jamais le cochon sans partager avec elle". Quand les libéralités se faisaient rares "on s'en passait", disait-elle. "Je n'avais pas été très gâtée. Quand il n'y avait pas de poulet, on mangeait des œufs et quand les oeufs manquaient, on se contentait des légumes du jardin".


Reportage sur Marie-Louise Cadiou par Manex Pagola et Olivier Ribeton en 1990 à Bascassan.



Sources : http://bazkazane.blogspot.fr
Photos : Jakintza et Claude Labat

Commentaires